
Professeur à la Faculté des Sciences humaines (FASCH) de l’Université d’État d’Haïti (UEH), Jean Casimir a enseigné à la Faculté des Sciences politiques et sociales de l’Université autonome de Mexico (UNAM) et, en qualité de professeur invité, à l’Université Stanford (U.S.A.). Il entreprend des recherches sociologiques sur l’histoire d’Haïti dans le but d’en saisir les particularités ainsi que les voies et moyens de resserrer la cohésion de la société nationale.
Extrait d'entretien avec Le Nouvelliste sur la publication de Jean Casimir
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Le 1er janvier 1804 en accédant à l’indépendance, l’État et la Nation rompent leurs liens avec l’Occident. Toute l’histoire et l’évolution du pays s’interprètent à partir des caractéristiques de cette rupture. Les explications courantes de notre pauvreté tendent à insinuer que nous nous sommes libérés trop tôt. Nous avons appauvri la « perle des Antilles » et durant deux cents ans, nos gouvernements ont détruit chaque jour avec plus d’incompétence le peu que nous avons hérité de la colonisation française.
Cette vision est archi erronée. D’abord, il est absolument faux de dire que les premiers cent ans de vie indépendante d’Haïti ont été une sorte de Moyen Age, où des tyrans incompétents – des satrapes sanguinaires – nous ont conduits d’abîmes en abîmes. Ce mépris de notre passé et de nous-mêmes est l’invention d’une vision eurocentrique de l’histoire qui clôture un siècle d’un racisme qui se veut scientifique et que nos intellectuels, à l’époque, ont su mettre au ban des connaissances.
Il nous faut réévaluer la geste de 1804 et découvrir comment nous avons pu parcourir ce chemin, seuls. Notre succès au 19e siècle est de fait lié à notre isolement. Dans la communauté internationale, ce siècle est celui de la construction des grands empires coloniaux et des vagues migratoires qui déferlent sur tout le globe, tuant et massacrant les populations autochtones sur leur passage. Il s’agit de l’époque de l’esclavage à Cuba et au Brésil, de la multiplication des « engagés » dans la Caraïbe anglaise et française, du partage de l’Afrique par les Européens et surtout de la mise en place de la colonie personnelle de Léopold de Belgique et de l’arrivée des Boers en Afrique du Sud,. C’est aussi le siècle du génocide des Amérindiens aux États-Unis, des abus et des vexations infligés aux populations noires de ce pays et du traitement inhumain des Amérindiens de l’Amérique latine.
Le contraste est flagrant. Haïti a une histoire de respect de la personne et surtout des travailleurs dont peu de pays peuvent se vanter durant le 19e siècle. De 1804 à 1915, le pays a vécu isolé et nous avons toutes les raisons d’être fiers des résultats obtenus, sans assistance technique d’aucune espèce.
Se souvenir de 1804, c’est revisiter notre histoire et nous situer dans le monde contemporain. Prendre note du développement endogène de la Nation et réaliser que notre chute dans le sous-développement débute avec la dépendance envers les grandes puissances, instaurée par l’Occupation de 1915. Ceux qui veulent à tout prix établir que nous avons la faute de nos malheurs devraient se rappeler que nous ne sommes pas venus de l’Afrique à la nage et que nos quelques mulâtres ne sont pas nés de relations conjugales bénies par une Sainte Église.
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